L’Assemblée nationale a voté, il y a quelques semaines, la loi portant statut général des Agents permanents de l’Etat (Ape). Dans ce texte, certains points n’ont pas reçu l’assentiment des travailleurs en général, et des centrales et confédérations syndicales en particulier. Il s’agit entre autres de la prorogation de l’âge de la retraite des Ape, la contractualisation de la fonction publique et l’avancement au mérite. Pour le Sg/Cosi-Bénin, Noël Chadaré, le sort des jeunes et de la classe ouvrière vient d’être scellé, à travers des articles qui ne sont pas en leur faveur. A en croire le Sg/Csa, Dieudonné Lokossou, il fallait faire une enquête sur la durée de vie des Agents déjà admis à la retraite avant de voter une telle loi. Quant au Sg/Cstb, Paul Essè Iko, il estime que le Gouvernement vient de commettre un crime à l’égard des travailleurs. Et avant que la loi ne soit promulguée, les partenaires sociaux exigent que le Chef de l’Etat demande une nouvelle relecture.
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Les députés ont voté un statut contesté par les travailleurs |
Lire la déclaration des secrétaires
généraux des centrales et confédérations syndicales
Noël Chadaré, SG/Cosi-Bénin «…il y
a eu un complot contre la jeunesse, un complot contre la classe ouvrière »
Je
dois vous dire que je suis complètement déçu, parce que je constate qu’il y a
eu un complot contre la jeunesse, un complot contre la classe ouvrière. Les
préoccupations et propositions des centrales et confédérations syndicales n’ont
pas été prises en compte. Les secrétaires généraux des syndicats n’avaient pas
accepté que l’on proroge l’âge de la retraite des Agents permanents de l’Etat.
Parce que le contexte dans lequel nous sommes ne s’y prête pas. Nous sommes
dans une situation où le chômage des jeunes est énorme. De façon normale, on ne
devrait pas aller voter une loi pour proroger la durée de travail des gens qui
ont fait une trentaine d’années, et qui risquent, avec la nouvelle loi, d’avoir
10 ou 12 ans de plus, alors que leurs enfants qui sont déjà en fin d’études et
ont déjà leurs diplômes professionnels attendent leur entrée dans la fonction
publique. C’est une décision moralement indécente. Quand on voit la situation
de nos jeunes, on ne peut pas tout de go aller voter une telle loi. En dehors de cela, il y a la pénibilité du
travail. Ceux dont on a prorogé la durée de travail n’ont pas forcément l’âge
réel. Il y en a qui ont des jugements supplétifs. On risque de voir les gens
s’écrouler dans les classes. C’est
l’Etat qui profitera de cette nouvelle loi. Les travailleurs ne gagnent rien.
Ils sont les vrais perdants. Même s’ils travaillent à leur âge réel, une fois
admis à la retraite, il ne leur restera plus beaucoup de temps pour mourir.
Aucun travailleur n’apprécie cette prorogation.
Si certains sont contents, c’est à cause de la peur de la retraite,
alors que c’est une grâce. Ils ont simplement peur parce qu’ils doivent
attendre un an et plus pour avoir leur carnet de pension. Si le gouvernement
règle ce problème, cela permettra d’apaiser les inquiétudes des uns et des
autres. Si les carnets de pension sont prêts dès le premier mois de la
retraite, les fonctionnaires seront prêts à aller à la retraite, et laisser
place aux jeunes qui sont en attente de travailler.
Deuxième
chose, c’est la contractualisation de la fonction publique. Nous ne sommes pas
d’accord pour une contractualisation à vie des Agents de l’Etat. L’Etat doit
prévoir une passerelle, comme ce qui se fait d’ordinaire, pour que les Agents
contractuels, après quelques années de travail, soient reconnus Agents
permanents de l’Etat. C’est un combat
que mène le Bureau international du travail (Bit) contre ce mode de travail.
Autre
chose aussi, c’est l’avancement au mérite. Dans les travaux préliminaires à
l’Infosec, nous avions déjà manifesté notre désaccord face à cela. Si on le maintient,
les travailleurs seront exposés à la méchanceté de nos autorités. Ils peuvent
banalement vous faire retarder. Aussi la politique peut-elle entrer en jeu.
Lorsque le travailleur n’est pas du même bord politique que son chef, ou
lorsqu’il conteste une décision, il subit parfois les affres de sa position.
Donc, ce texte en l’état n’a ni profité aux travailleurs, ni aux jeunes. Nous
invitons le Chef de l’Etat à demander une seconde relecture de ce texte, avec
notre avis. Et ceci, de façon consensuelle.
Paul Essè Iko, Sg /Cstb,
« L’Assemblée nationale vient de commettre un crime »
L’Assemblée
nationale vient de commettre un crime, le dernier crime avant de rompre les
rangs pour cette législature. C’est la dernière catastrophe, une bévue
monumentale que nous constatons face aux travailleurs de la fonction publique.
Le statut général des Agents permanents de l’Etat, c'est-à-dire, la loi 86-013,
après plusieurs luttes sous le régime du Parti de la Révolution populaire du
Bénin (Prpb) de Mathieu Kérékou, a consacré beaucoup d’avantages aux
travailleurs de la fonction publique. Mais nous constatons que, sous l’instigation
de Boni Yayi, cette loi a non seulement été révisée, mais aussi consacre des
clauses rétrogrades et qui enlèvent aux travailleurs leur droit acquis.
La
fonction publique vient d’être contractualisée. Le travail à la fonction
publique sera sous cette loi un travail précaire. Les travailleurs n’auront
plus la possibilité de dire qu’ils sont recrutés en tant qu’Agents permanents et
qu’ils restent jusqu’à la retraite. Hier, nous autres, on signait un engagement
décennal. Et après dix ans, nous avions la possibilité de continuer le travail
dans la fonction publique ou d’arrêter la collaboration. Hier, on ne pouvait
pas renvoyer comme on veut de la fonction publique. Hier, il n’y avait pas de contractuels.
Maintenant, quitus est donné au gouvernement
de recruter des contractuels. Ils seront recrutés pendant environ deux
ans, et ceux à qui on n’aurait pas renouvelé le contrat doivent plier les
bagages. Le travail est donc précaire, alors que c’est l’Etat qui devrait faire
garantir les droits et les acquis des travailleurs. Tel ne sera
plus le cas.
Cette
loi supprime les 30 ans de service et prolonge l’âge de la retraite selon les
catégories : 65 ans, 63 ans, 62 ans,
60 ans, 58 ans ou 55 ans. Voilà des gens
qui vont passer plus de 30 ans de service, dans des conditions de plus en plus
minables et défavorables. On ne peut pas
travailler concrètement contre cette loi si on ne se détermine pas à se battre
pour exiger la relecture de cette loi, si on n’envoie pas des délégués à
l’Assemblée nationale.
Dieudonné Lokossou, Sg Csa-Bénin
« Avant de prendre cette décision, il aurait fallu faire un bilan
exhaustif de l’existant »
Nous
ne saurions dire que nous sommes satisfaits. Nous avions émis des réserves,
lorsque nous avons été interpellés par la commission des lois de l’Assemblée
nationale. Nous avons exprimé nos inquiétudes. Malheureusement qu’elles n’ont
pas été prises en compte. Nous l’avions fait collégialement avec les autres
confédérations. Vous savez que le problème du chômage est un problème d’une
préoccupation majeure pour tous les Béninois. Donc, nous trouvons quand même
gênant que l’on proroge l’âge de la retraite de 58 à 65 ans, surtout dans notre
pays où les conditions ne sont pas réunies pour une telle décision. D’abord, on
parle de travail décent, mais il n’y a pas encore de travail décent en Afrique.
Et les solutions artificielles en vue de régler les problèmes de chômage dans
notre pays ne comblent pas encore les attentes du peuple. Tous les ans, de nombreux étudiants, sortis de nos
universités privées et publiques, sont déversés sur le marché du travail.
Certes, la population de la fonction publique est vieillissante, mais la faute
incombe aux gouvernants, et surtout à la Banque mondiale et au Fmi qui ont,
entre-temps exigé du gouvernement une politique sociale assassine de départ
volontaire de la fonction publique, sans pour autant préparer les gens.
Globalement, je crois que ce texte crée plus de problèmes qu’il n’en résout.
Avant
de prendre cette décision, il aurait fallu faire un bilan exhaustif de
l’existant car, en Afrique, les Ape ont des problèmes liés aux conditions
climatiques, de travail et autres. Lorsque quelqu’un va à la retraite, il en
jouit à peine et il meurt. Lorsqu’on proroge l’âge de la retraite des Ape, cela
doit avoir un effet sur les travailleurs en activité. J’aurais souhaité que les
autorités fassent une enquête sur la durée de vie des agents à la retraite. Ce
faisant, les décisions seront mûries.
La
responsabilité de la commission des lois n’est plus engagée, à partir du moment
où le texte a été voté. Je ne sais pas si cette loi sera promulguée. La
meilleure solution est que le Gouvernement demande une deuxième relecture afin
de prendre en compte les préoccupations des travailleurs. Donc, ce n’est pas
une récrimination. Les questions d’ordre social sont des questions très
sensibles, il faut toujours jeter un regard d’amour par rapport aux décisions
finales qui peuvent conduire à des troubles.
En
ce qui concerne l’avancement au mérite, il faut dire que ce sont des mesures
qui ne règlent pas le problème d’emploi. Les gens vivent dans une précarité
constante. Ils trouvent l’emploi avec toutes les difficultés, et après, c’est
une guerre des nerfs. On vous soumet au bon vouloir de certaines autorités.
Réussir à un concours à la fonction publique, je crois que cela suffit. Vous
avez désormais une carrière et acquérez des expériences. Ces expériences
acquises vont jouer positivement sur le rendement. Mais un ou deux ans après,
on va évaluer les gens sur des critères qui ne seront pas objectifs. Car la
politique rentre dans tout ce qui est fait aujourd’hui. Si on vous soupçonne
d’opposant, vous êtes éliminé d’office. C’est vraiment un nouveau calvaire que
les postulants vont traverser.
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